Tire-allaitement (partie 1)

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Pour ceux et celles qui ne me connaissent pas personnellement, la santé est probablement la valeur que je mets au premier plan. On pourrait me décrire comme une personne très (trop) organisée avec plusieurs listes à l’appui, exigeante envers moi-même, déterminée et qui aime le travail bien fait. Nutritionniste de formation avec un baccalauréat en nutrition et une maîtrise spécialisée en traitement de la malnutrition infantile, il était évident pour moi que j’allais allaiter deux ans et plus, comme le recommande l’OMS. La question ne se posait même pas. Souhaitant avoir un suivi de grossesse personnalisé ainsi qu’un accouchement naturel, j’avais opté pour la maison de naissance. Ma sage-femme m’avait répété à plusieurs reprises que l’allaitement ne se passe pas toujours comme prévu, mais comme plusieurs d’entre vous, j’imagine, j’avais la profonde conviction que les problèmes d’allaitement, ce ne serait pas pour moi et que je n’aurais sûrement pas recours au tire-allaitement.

Tire-allaitement
Crédit photo : Marc-Antoine Jean Marcographie

La grossesse

Nous avons appris après 36 semaines de grossesse tout à fait normale et en bonne santé, échographies et examens standards à l’appui, que le bébé ne s’était pas retourné. L’aventure du bébé en siège ne faisait que commencer. Je vous épargne les détails des dernières semaines de grossesse, puisque l’objectif est ici de partager mon histoire d’allaitement, et peut-être même d’enfin en faire le deuil. Résumons tout simplement en précisant que les interventions suivantes n’ont pas réussi à faire en sorte que le bébé se retourne en position normale : quatre douloureuses tentatives de version, yoga, position quotidienne tête vers le bas, acupuncture, visualisation, naturopathie, et j’en passe. Même si le risque de césarienne était élevé, nous avons pris la décision, mon conjoint et moi, de tenter l’accouchement physiologique en siège. Bien entendu, il n’était plus possible d’accoucher en maison de naissance, le risque de complications étant trop élevé. Je devais dire adieu à mon rêve d’avoir un accouchement naturel sans intervention. Notre bébé, bien au chaud, s’est fait attendre jusqu’à 41 semaines et 5 jours…

La naissance

Notre cher petit Lou (nom fictif) est né au printemps 2017 avec 10 jours de retard (tout comme moi, d’ailleurs). J’ai perdu les eaux naturellement, ce qui a déclenché le travail. Après plusieurs heures de travail et de douleur, les contractions n’étaient toujours pas régulières, la dilatation progressait très lentement, et je me fatiguais beaucoup. J’ai donc demandé la péridurale pour me reposer un peu. L’échographie de départ montrait que le bébé se présentait toujours en siège complété. Il a toutefois changé d’idée en cours de travail et a placé sa petite jambe vers le bas (d’où le surnom de danseur que lui donnera par la suite sa grand-maman), ce qui a complètement arrêté la dilatation du col. Il y avait aussi un risque élevé d’étranglement par le cordon ombilical, ce qui aurait été très dangereux. J’ai donc été transférée en salle de césarienne, car il n’était plus du tout possible d’accoucher en siège. Bébé pesait 7,4 lb et mesurait 53 cm à la naissance; c’était un grand garçon qui portait déjà des pyjamas de taille 1 mois. Nous avons cherché le prénom parfait pendant au moins 10 jours, pour finalement arrêter notre choix sur Lou, qui signifie « louveteau » en congolais.

L’allaitement a été possible après un séjour de deux longues heures en salle d’éveil pendant que papa faisait la technique du peau à peau. Lou a rampé sur mon ventre et a pris le sein avec appétit en trois secondes seulement. J’étais vraiment fière de lui. L’allaitement s’est installé très facilement entre lui et moi dès le début, quelques rougeurs avant la montée de lait sans plus. J’étais très heureuse de constater que malgré l’accouchement difficile, l’allaitement se passait à merveille.

La maladie

Jour 1 : Première ombre au tableau, la pédiatre nous a informés à l’auscultation que les battements cardiaques semblaient être anormaux. Il serait peut-être pertinent de préciser ici que je travaille à la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC. Un souffle au cœur, je connaissais ça… Parfois, la simple méconnaissance plutôt que la connaissance nous évite bien des inquiétudes…

Jour 2 : La pédiatre constatait que le problème était toujours présent.

Jour 3 : Aucun changement. La pédiatre nous a référés directement à Ste-Justine à la sortie de l’hôpital, avant même de rentrer à la maison.

Les examens (échocardiogramme, électrocardiogramme, etc.) ont été très longs, bébé pleurait, avait froid et faim. Nous avons passé toute la journée dans la salle d’attente de la cardiologie, passant d’une salle à une autre pour les différents tests. J’étais en fauteuil roulant, car je n’arrivais pas à marcher, et j’ai appris ainsi sur le tas à allaiter en public. Lou était épuisé, moi aussi. Nous sommes passés en dernier, vers 16 h. Je vous rappelle ici que mon bébé n’avait que trois jours ! Quand le cardiologue se met à faire un dessin – oui, littéralement sur une feuille de papier avec un crayon – pour vous expliquer l’anomalie cardiaque de votre bébé et qu’il est entouré de plusieurs autres spécialistes, vous comprenez rapidement que c’est sérieux. Nous avons reçu le diagnostic de communication interventriculaire (CIV) large (par opposition à une petite CIV qui serait beaucoup moins grave). C’est une malformation cardiaque congénitale dont l’occurrence est de 4 cas sur 1000. On entend souvent dire que les souffles au cœur se guérissent par eux-mêmes avec le temps. Cette fois-ci, c’était différent. Lou devait commencer à prendre des médicaments dès maintenant. Après un séjour de deux heures à la pharmacie de mon quartier (vive l’efficacité !), nous sommes enfin rentrés à la maison pour la première fois à 21 h. Je n’avais pas pris de douche depuis cinq jours, je n’avais pas soupé, j’étais épuisée moralement et physiquement.

Lou devait prendre un médicament pour diminuer la vitesse des battements cardiaques et deux diurétiques pour diminuer l’accumulation d’eau dans les poumons et le foie. L’objectif était de gagner du temps et de l’aider à prendre du poids rapidement, car son petit cœur se fatiguait très vite. Ses besoins caloriques étaient beaucoup plus élevés que ceux d’un bébé en bonne santé. Il était suivi chaque semaine par le cardiologue. La journée du jeudi est rapidement devenue pour nous synonyme de salle d’attente et d’épuisement (en moyenne de cinq à sept heures par semaine passées à Ste-Justine pour les suivis).

L’allaitement

Tire-allaitement
Crédit photo : Freepik.com

Lorsque Lou a eu trois semaines, nous avons pu avoir une meilleure idée de l’évolution de sa pathologie cardiaque. Le problème évoluait très rapidement et bébé avait maintenant atteint un plateau pour sa courbe poids/âge, ce qui veut dire qu’il vieillissait, mais ne prenait pratiquement pas de poids. Bref, il courait littéralement un marathon en tout temps, et chaque fois que je l’allaitais, il dépensait toutes les calories du repas en énergie consommée juste par l’effort de la succion. Ses cheveux tout mouillés, il était complètement en sueur après chaque boire. Le cardiologue m’avait prévenue qu’il serait possible que je doive tirer mon lait et le donner au biberon, car c’était moins fatigant pour le bébé. Mais encore une fois, je me disais que tout ça, ce n’était pas pour moi. Après tout, puisque je suis nutritionniste spécialisée en maladies du cœur et malnutrition infantile, j’allais trouver une solution et résoudre le problème par moi-même. Je n’allais quand même pas avoir un bébé cardiaque malnutri! Ce serait le comble de l’incompétence ! J’étais optimiste : bébé prenait très bien le sein, je n’avais pas de douleur, je l’allaitais au besoin, je faisais des tétées groupées quand il le demandait, le peau à peau, le cododo, etc. Bref, tout ce qu’on recommande, et ce, avec l’aide de papa messager. Pourquoi commencer à tirer mon lait pour le donner au biberon ? Pour moi, ça n’avait aucun sens. Nous étions le 11 mai 2017, je m’en souviendrai toujours comme si c’était hier. Le cardiologue m’a donc informée qu’il n’était plus possible de faire l’allaitement au sein, autrement dit, que c’était contre-indiqué étant donné la maladie cardiaque de mon bébé. Je devais lui donner le biberon de lait maternel enrichi avec la préparation commerciale pour qu’il soit plus riche en calories. Donner de la formule ! Moi qui étais anti-formule jusqu’au bout des doigts ! J’étais tellement déçue, je me suis effondrée en larmes dans le bureau de la nutritionniste. J’ai donc commencé à tirer mon lait du jour au lendemain, et ce, huit fois par jour. Le premier boire au biberon a été pour moi déchirant. Ma belle-mère a donné le biberon à Lou tandis que je m’installais pour ma première séance de 45 minutes avec mon tire-lait de pharmacie, la grosse et bruyante machine branchée au mur. Adieu le contact privilégié, ce moment d’échange unique avec mon bébé. Je devenais maintenant une vache à lait, c’est le cas de le dire.

P.S. La suite de mon histoire de tire-allaitement suivra sous peu…

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Andréane Tardif

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